
Université de la communication à Hourtin – XIX université
Et si la multiplicité et l’éparpillement des sources d’information e la société de communication, loin de conforter nos démocraties contemporaines, contribuaient, au bout du compte, à saper insidieusement les fondements de nos institutions ?
Chaque jour, les citoyens que nous sommes sont abreuvés, ensevelis sous une masse d’informations où l’actualité est mâchée, prédigérée, la plupart du temps par des moyens audiovisuels. Seule une petite élite peut consacrer de longs moments à décortiquer et â décrypter cette masse d’informations, ou à en recevoir la synthèse par une revue de presse soigneusement élaborée. Mais combien de personnes cela concerne-t-il ?
Or, un sondage sur la fiabilité des différents médias donne des conclusions tout à fait intéressantes et paradoxales sur l’état de l’opinion. Ce sondage « CSA/ La Vie » du 24 avril 1997 montre précisément que ce sont les vecteurs les plus vulgarisés dans le grand public, comme la télévision, qui se voient attribuer le plus faible degré de crédibilité. A l’inverse, la radio et la presse écrite bénéficient d’une confiance bien supérieure auprès du grand public. A L’évidence, l’indice d’écoute n’est pas le seul paramètre à prendre en considération. De quoi faire réfléchir à la fois les publicitaires et les princes qui nous gouvernent.
Malgré cela, on ne cesse de créer par dizaines des nouvelles chaînes de télévision privées ou publiques, retransmises aux antipodes de la planète par les bouquets numériques. Nous sommes en droit de nous interroger ici : pour quel public ? Car enfin, quoi que nous fassions, quelles que soient les prouesses de la technique et la marche de l’ histoire, les journées ne compteront toujours que vingt-quatre heures, et forcément, ne sommes-nous pas déjà parvenus au seuil de saturation pour ce qui concerne le temps passé devant le petit écran ? On pourra toujours accroître le nombre de chaînes et de bouquets numériques ; nos concitoyens, après avoir passé une grande partie de leur journée de travail devant l’écran de l’ordinateur, n’auront pas forcément l’envie de consacrer la totalité des quelques heures de loisirs qu’il leur reste devant d’autres « étranges lucarnes ». Alors pour quoi et pour qui la multiplication exponentielle de ces nouvelles chaînes ?
L’intelligence et la culture
Cependant, à quelques nuances près, les gouvernements successifs ont fait le choix, pour notre pays comme pour l’Europe en construction, du TOUT AUDIOVISUEL, au risque de tuer l’intelligence et la culture dans nos pays pour longtemps. Dans un tel contexte, la place réservée à l’écrit et à la lecture stagne, voire régresse.
Au cours de ces dernières années, le fait marquant que l’Histoire retiendra est, de toute évidence, la mort des idéologies, qui, pour autant, n’a pas réduit les problèmes planétaires car les conflits ethniques et les morts qui s’ensuivent n’ont jamais été aussi nombreux. Ce qui est certain, c’est que le débat d’idées, lui, s’en trouve singulièrement appauvri, et aussi loin que porte mon regard, je n’aperçois plus de grands polémistes ou de grands débatteurs, tel Emile Zola qui, un siècle auparavant, avec son « J’accuse », dont c’est précisément le centenaire, faisait la démonstration de la force et de l’influence de la presse écrite.
En effet, le meilleur support pour le débat d’idées n’est-il pas la presse avec la possibilité qu’elle offre aux écrivains, aux journalistes et aux penseurs d’exposer complètement, sans le schématiser, le fruit de leurs réflexions devant l’opinion tout entière en provoquant des réactions enthousiastes ou polémiques qui ont cependant la faculté de faire battre le coeur d’une nation.
Devant la pauvreté du débat politique en cours, dont l’essentiel, pour une grande partie de l’opinion, se résume au saupoudrage du journal, télévisé de vingt heures, il a été facile d’instaurer la pensée unique, celle-là même conçue pour servir de relais à la technocratie dominante, au marché, et à l’argent-roi, dans le cadre de la mondialisation des échanges. Cette nouvelle doctrine, la seule qui vaille, et la seule autorisée par une invisible et omniprésente police de l’opinion, n’a jamais été aussi arrogante et insolente. Sa répétition constante dans tous les médias par presque tous les hommes politiques, de droite comme de gauche, lui confère une telle force d’intimidation qu’elle étouffe toute tentative de réflexion libre et rend fort difficile la résistance contre ce nouvel obscurantisme. Or, nous mesurons encore mal les dégâts provoqués par la mondialisation, en particulier dans le domaine culturel, car elle s’accommode mal des différences, et son credo est l’uniformisation non seulement des cultures, des modes de pensée, mais aussi des coutumes et des modes de vie.
Pourtant, la richesse de notre village planétaire ne réside-t-elle pas précisément dans ces diversités culturelles, ethniques, philosophiques et religieuses qui concourent au grand brassage universel, principal moteur de l’Humanité. Quel appauvrissement ce sera, pour chacun d’entre nous, lorsque la dernière tribu du fin fond de la Papouasie se sera alignée sur la loi du marché véhiculée par la pensée unique. Au train où vont les choses, c’est pour après-demain.
Peuple d’épicuriens
Pour sacrifier à la mode ambiante, notre gouvernement y est allé lui aussi de son couplet, sur le prétendu retard pris par la France en matière d’utilisation d’internet et de connexions des ménages sur le réseau. Pour le coup, dans cette période de crise et de vaches maigres, on va même jusqu’à débloquer des crédits afin de lancer une vaste campagne de promotion pour ce nouveau média dans les chaumières de nos belles provinces.
C’est compter sans le fait que les Français sont un peuple d’épicuriens qui n’acceptent pas de se remettre en question, sinon lorsque les nouvelles technologies qu’on leur propose s’accompagnent de la notion de plaisir. Outre ce caractère hédoniste de nos concitoyens, il faut également prendre en considération la tradition littéraire de notre pays, berceau de quelques grands écrivains humanistes, que nous ne sommes pas près d’abandonner aussi facilement pour succomber au charme du web. On peut comprendre ce manque d’empressement à troquer sa bibliothèque pour l’écran glacé d’un ordinateur, fût-il connecté sur internet, qui ne va pas, lui, faire vibrer nos sens.
Nos cinq sens
Il est plutôt réconfortant de songer, qu’à bien réfléchir et à choisir, une majorité de nos concitoyens préfèrent encore s’adonner au plaisir de la lecture, évocateur de bien des choses, et mettre leurs cinq sens en éveil au fil des pages plutôt que de sacrifier à la mode de la souris.
– Qu’est-ce qui pourrait remplacer le regard porté sur la typographie d’une page bien ordonnancée avec des caractères judicieusement choisis pour s’accorder au texte et à la pensée de l’auteur, qu’il s’agisse d’une simple feuille de journal ou bien encore d’un livre d’art ?

– Et le toucher sensuel de la feuille de papier d’un bel imprimé, où le doigt exercé fera rapidement la différence entre les mille et une sortes de ces petits papiers qui ont inspiré à Régine ne une chanson composée sur ce thème.
– Et l’odeur qui se dégage du papier imprimé inséparable des livres de classe de notre enfance, qui suffit à faire remonter à la surface bien des souvenirs que l’on croyait enfouis, réminiscences associées à la rentrée des classes, bien différentes de celles du papier glacé des revues de luxe qui évoquent, elles, d’autres sensations propres à chacun.
– Et l’ouïe, elle aussi, se trouve flattée, amusée, suivant que l’on feuillette un livre ou un magazine ne. Là aussi, quelle diversité dans les ouvrages et les pages que l’on tourne à loisir. Ou encore ce froissement bien particulier du journal que l’on déplie devant soi, qui va déclencher cette soif de connaître, d’apprendre les dernières nouvelles. J’en connais même qui, à ce seul bruit, sont capables de vous ravir votre quotidien tellement est impérieuse parfois cette nécessité de connaître, de déchiffrer, de s’imprégner de l’information sans plus tarder.
– Et le petit noir du matin aurait? Il le même goût sans le journal que l’on déploie, tel un étendard, dans ce geste éloquent, associé au signal d’une nouvelle journée qui commence ?
Prophéties apocalyptiques
A l’évocation de ces quelques sensations, liées à notre fréquentation et à notre intimité avec l’imprimé, on peut comprendre la distanciation momentanée d’une large part de l’opinion avec les nouveaux médias électroniques par trop insipides.
Bien sûr, nous y viendrons tous car c’est le progrès, comme l’on dit communément. Mais allez, pour toutes les raisons évoquées, ci-dessus, les prophéties apocalyptiques de George Orwell et de Mac Luhan sur la mort imminente de l’imprimé ont été déjouées jusqu’à présent.
Pour nous tous, qui sommes attachés au livre et à sa pérennité, soyons assurés qu’il lui reste encore de beaux jours car il constitue un rempart, fragile certes, contre les dictatures et les nouveaux totalitarismes. Ce n’est pas par hasard si, tout au long de l’Histoire, les dictateurs et les fanatiques de tout poil se sont acharnés à dresser des autodafés car ils savaient bien que le livre, et plus largement l’imprimé, ont toujours représenté la meilleure défense de la liberté de l’esprit et de la sauvegarde de la pensée.
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