
Depuis la crise de 1992, le grand chantier de l’Europe communautaire occupe le devant de la scène dans les médias. C’est que l’affaire est d’importance et conditionne largement notre avenir à l’horizon du XXIe siècle. Avec la remontée de l’extrême droite dans plusieurs pays, nous avons pu constater une fois de plus que la bataille décisive se joue sur le champ des idées. L’Europe économique et l’Europe sociale resteront lettre morte si le choix d’une société plus démocratique et plus juste ne vient éveiller les forces vives des citoyens du Vieux Continent.
Or, il est particulièrement significatif de constater qu’avec les phénomènes de mode, qui sévissent dans les médias, les projecteurs se braquent en même temps sur certains thèmes » porteurs » comme la monnaie unique, alors que des pans entiers de la construction européenne demeurent dans l’ombre. C’est le cas pour ce qui nous concerne dans le cadre de la défense constante et permanente de l’Ecrit et de la Francophonie, où nous tenons à souligner le déséquilibre inquiétant en train de s’installer au cœur du continent européen, dans le plus grand silence, au niveau des médias et de la communication. Ce déséquilibre a notamment été mis en relief lors des travaux du troisième séminaire européen du groupe Hersant qui a réuni à Paris des délégations françaises et étrangères, dont plusieurs pays d’Europe centrale.

Au terme de leurs travaux, les délégués ont enregistré le retrait du groupe Socpresse de ces pays où il constituait une présence française importante dans le domaine de la circulation des idées. Héritiers d’une riche tradition locale, les médias de ces pays avaient fait un pas important vers l’Europe en s’associant sur le plan économique et culturel avec un grand groupe français.
Face à cette situation, les représentants des syndicats de la communication d’Europe centrale ont exprimé leur inquiétude et leur consternation devant le désengagement massif de la France dans cette zone stratégique du continent européen, qui ouvre une large brèche à l’écrasante hégémonie allemande dans le secteur sensible des médias et de la presse écrite en particulier.
En effet, outre les opérations bien connues menées par les grands groupes Bertelsmann et Springer, on a assisté au rachat, par l’éditeur bavarois Passauer Neue Presse, d’une dizaine de titres polonais nationaux et régionaux, à l’exception de Rzeczpospolita de Varsovie, repris par un groupe norvégien.
– A Prague, c’est le groupe Rheinische Post qui a pris le contrôle des titres tchèques, et notamment de Mlada Fronta Dnes, principal quotidien pragois, ainsi que des nouvelles imprimeries de Bohême et de Moravie.
– En Slovaquie, à Bratislava, il ne reste plus que le groupe suisse Ringier pour résister à la mainmise totale des groupes allemands. Mais pour combien de temps encore ? Car c’est encore un groupe de presse bavarois qui a racheté le quotidien de référence Narodna Obroda et le quotidien des Hongrois de Slovaquie, Uj Szo à Socpresse, qui avait auparavant modernisé ces titres.
– En Hongrie, c’est le Magyar Nemzet de Budapest qui a été racheté par une société écran d’Etat avant d’être cédé à un opérateur privé étranger où, là encore, les groupes allemands occupent une position de monopole.
Ce constat alarmiste a fortement sensibilisé les représentants syndicaux qui ont décidé d’interpeller les pouvoirs publics sur cette nouvelle configuration de la presse écrite, vecteur culturel indispensable, qui ne peut être considéré comme un produit tout à fait comme les autres. Ils déplorent également le fait que les éditeurs nationaux de cette zone d’Europe n’aient pu conserver et conforter la maîtrise de leur presse de façon indépendante.
Artillerie idéologique
A elle seule, la loi du marché ne suffit pas à justifier cette mainmise des capitaux allemands sur la quasi-totalité de la presse de ces pays qui ont besoin, plus que tous les autres, de la pluralité d’expression afin de soutenir la démocratie, à l’épreuve dans cette partie de notre continent.
Dans le secteur de la distribution de la presse, en voie de privatisation, on assiste au même phénomène. En Pologne, l’offre française a été écartée, en dépit d’une première décision positive des autorités de tutelle, au profit d’un groupe local soutenu par des capitaux allemands.
De quel poids considérable pèsera cette armada médiatique, aux mains de quelques-uns, toujours les mêmes, lorsqu’ils décideront de faire donner cette artillerie idéologique pour une cause politique ou une autre qui n’ira pas forcément dans le sens d’un élargissement de la démocratie.
Le tout-audiovisuel
Au sein même de l’Hexagone, à quand le rachat de nos grands titres de la presse nationale par des groupes étrangers ?
En effet, c’est un euphémisme de dire aujourd’hui que la presse quotidienne est en crise. Il suffit d’évoquer les mesures prises par les pouvoirs publics qui risquent d’asphyxier le pluralisme et de condamner bien des titres _ baisse des aides directes, augmentation des tarifs postaux, menaces sur le système de distribution. Par-dessus tout, l’orientation choisie en faveur du tout-audiovisuel s’avère particulièrement catastrophique en laminant l’intelligence et la culture de ce pays.

Cet état de fait nous amène à poser avec force la question urgente d’un véritable Ministère de la presse et de l’information capable d’assumer ses responsabilités dans cette période, où les enjeux dans le secteur des médias sont cruciaux. Devant les atermoiements du ministère de tutelle, comme c’était la règle sous les précédentes législatures, la création d’un authentique Ministère de la presse et de l’information, indépendant de celui de la Culture, s’impose comme un impératif à l’ordre du jour d’une actualité brûlante. Il en va de l’avenir de la France aussi bien que de celui de l’Europe.
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