
Depuis juillet 1983, date à laquelle eut lieu la première rencontre avec Robert Hersant sur la constitution du Comité de groupe prévue par la loi du 28 octobre 1982, bien des péripéties ont émaillé la mise en place de ce comité. Toutes les procédures et les manœuvres dilatoires ont été utilisées par nos patrons pour empêcher la mise en place de cette structure qui doit sérieusement les gêner aux entournures si l’on en juge par l’acharnement déployé afin d’entraver la marche de la justice sur ce point particulier des lois Auroux.
C’est que l’affaire est d’importance et conditionne notre vie de tous les jours dans chacune des entreprises du groupe, au-delà de ce que nous pouvons imaginer.
Face à une stratégie occulte de la direction du groupe de transfert de capitaux, de rachats de titres et de mainmise sur des sociétés françaises et étrangères, pour la première fois, une structure peut exister où les salariés des différentes sociétés vont pouvoir se rencontrer, échanger des idées, recevoir des informations sur l’activité, la situation financière, l’évolution de l’emploi dans chacune des entreprises qui composent le groupe.
Ce comité pourra également émettre des vœux et des avis comme chaque comité d’entreprise est habilité à le faire, mais cette fois à un niveau national, beaucoup plus vaste, et sur lesquels la direction du groupe devra donner des réponses motivées.
En outre, cette instance se fera assister par un expert-comptable qui pourra opérer toute vérification et tout contrôle entrant dans l’exercice des missions qui lui sont imparties. L’expert-comptable aura accès aux mêmes documents que les commissaires aux comptes pour l’établissement du bilan consolidé du groupe, véritable synthèse du bilan des entreprises constitutives.
A l’énoncé de ces attributions, nous comprenons mieux le peu d’empressement manifesté par la direction du groupe à faciliter la mise en place de cette structure légale dont plus d’une centaine d’exemples fonctionnent à travers le pays. Pourtant, c’est Robert Hersant lui-même qui nous avait donné son accord sur ce point, à la suite d’une réunion de juillet 1983. Depuis, il a certainement changé d’avis puisque tout a été entrepris pour tenter de se soustraire à cette mise en place en restructurant le groupe et en allant même jusqu’à vendre certains titres tels Le Berry républicain, Centre Presse Rodez et La Nouvelle République des Pyrénées.
Jugement Exemplaire
C’était compter sans notre opiniâtreté et celle de notre avocat, Me Marigrine Auffray-Milésy, qui a répondu coup pour coup aux manœuvres juridiques du staff d’avocats du groupe Hersant.
Certes, ils ont retardé dans une certaine mesure l’application de la loi, mais, malgré ses lenteurs, il ne faut jamais désespérer de la justice de ce pays qui vient de rendre le 25 avril dernier un jugement exemplaire à bien des égards.
Le jugement sur le fond relatif à la constitution du Comité de groupe nous donne satisfaction sur l’essentiel de notre démarche.
La mise en place du Comité de groupe est ordonnée avec exécution provisoire et astreinte de 5.000 F par jour de retard passé le délai de six mois à dater du jugement du 25 avril 1989 soit au plus tard le 25 octobre. Il est intéressant de s’arrêter sur la liste des sociétés incluses dans le Comité de groupe qui couvrent les trois secteurs d’activité des entreprises : la presse quotidienne, les périodiques, la radio et la télévision. En l’occurrence, le tribunal a décidé que le Comité de groupe, dont la SOCPRESSE¹ est la société dominante, doit inclure les sociétés suivantes :
PRESSE QUOTIDIENNE
Région parisienne
- Figaro,
- Franpresse,
- L’Aurore,
- Société de gestion du Figaro,
- Editions France-Libre (Paris-Turf),
- Publi-Print (Régie publicitaire du groupe + Indicateur Bertrand + Locations Ventes),
- SIRLO,
- Paris Print,
- Promoporte (portage à domicile),
- Presse-Alliance.
Nord
- Nord-Eclair,
- Presse Nord (Nord-Matin).
Sud-Est
- Le Dauphiné Libéré,
- SODIP,
- Rhône-Alpes Diffusion,
- SOFIGEP (holding du Dauphiné Libéré),
- Presses du Sud-Est (Dauphiné Libéré),
- Sud-Est Média (groupe Le Progrès),
- Progrès.
Ouest
- SERPO (Presse Océan-L’Eclair),
- SIPO (La Liberté du Morbihan),
PRESSE PERIODIQUE
- Edition Diffusion Presse (Auto-Journal),
- Librairie Maritime Le Yacht (La Pêche, etc.),
- Société des Editions spécialisées (La Bonne Cuisine, Wind, etc.),
- Publicité annonces,
- SODINFOR (détient des participations dans plusieurs sociétés),
- SIGA (Société d’exploitation d’imprimeries à Fort-de-France),
- Agence générale d’information.
RADIOS
- Europe Mélodies,
- Digitale Production,
- Agence Française de Communication,
- Delta Production.
Cette liste comprend toutes les sociétés dont nous avons demandé le rattachement, y compris le groupe Dauphiné Libéré, le Groupe nantais et Le Progrès, c’est dire l’ampleur du problème abordé. Les contours du groupe sont ainsi cernés momentanément dans l’attente de nouveaux développements ; en outre, des indemnités importantes nous sont attribuées par le tribunal en remboursement de nos frais et la Socpresse est condamnée aux dépens.
Une seule exception dans le rattachement au groupe : celle concernant France-Antilles et ses quatre filiales. C’est-à-dire Havre Presse, la Société normande de presse républicaine, Off-print et l’Union de Reims pour lesquelles un Comité de groupe séparé pourrait être demandé ultérieurement. Le tribunal a pourtant reconnu que, en toute équité, ces sociétés du sous-ensemble France-Antilles font bien partie du groupe Hersant mais dans l’état actuel de la législation, il n’est pas possible de les inclure du fait des participations détenues seulement par des personnes physiques, même s’il s’agit de R . Hersant lui-même et de sa famille². Malgré cette partie de l’empire Hersant qui se trouve provisoirement en dehors du Comité de groupe, nous pouvons être particulièrement satisfait de ce jugement car les procédés dilatoires employés par la direction du groupe se sont soldés une fois de plus par un échec. Notre long combat en justice a porté ses fruits, il importait donc de faire le point entre nous car, depuis la publication du dossier, dans le numéro 15 du Bulletin du C.E. d’octobre 1986, nous n’avons plus abordé ce sujet dans l’attente d’un dénouement juridique qui est enfin intervenu.
La portée de ce jugement est tout à fait décisive et relance le processus de mise en place du Comité de groupe. Soyons assurés que l’astreinte de 5.000 F par jour au-delà du délai légal va permettre de débloquer la situation rapidement.
¹ La SOCPRESSE est la société dominante ou holding qui contrôle les sociétés appartenant au même ensemble économique dont les activités peuvent être totalement différentes.
² Les personnes physiques à elles seules ne suffisent pas à justifier l’appartenance au groupe alors qu’y sont incluses les sociétés dont la SOCPRESSE possède directement ou indirectement à travers d’autres sociétés tout ou partie du capital.
1945
Cette extension des droits et du contrôle des travailleurs sur leur outil de production s’inscrit dans la lignée de ce que nos anciens ont voulu mettre en place lors de la constitution des premiers comités d’entreprise en 1945. A l’époque, tout a été fait pour qu’ils s’empètrent dans le syndicalisme-ragoût ou les problèmes les plus importants : la production, l’administration, la gymnastique financière, disparaissaient derrière le cours des Halles et la façon d’accommoder le ragoût de mouton. A l’époque, la bourgeoisie a accepté la création des comités d’entreprise au moment où l’économie était complètement déséquilibrée, les marchés incertains, la vie industrielle de plus en plus compliquée.
En pleine euphorie économique, le patronat n’eût certainement pas partagé sa capacité de contrôle ; en revanche, en ces temps d’après-guerre, il lui a été un peu moins désagréable de partager des responsabilités écrasantes. Mais, très vite, on a voulu enfermer les secrétaires de CE dans le rôle de gargotiers pour qui les difficultés d’approvisionnement et le coût du repas prenaient rang de question majeure au détriment du renforcement syndical. On les obligea à dispenser des efforts considérables à des travaux sans grandeur, irritants et improductifs aux dépens de problèmes capitaux. Leur capacité d’initiative s’usa littéralement sur la meule de la médiocrité. C’était le souhait du patronat qui faillit se réaliser si nous n’y avions pris garde.
Aujourd’hui, certes, nous continuons d’avoir la charge des restaurants d’entreprise dont les directions refusent d’assumer la gestion pour les raisons évidentes que nous venons d’examiner, mais nous sommes parvenus à obtenir un véritable budget du comité d’entreprise qui ne soit plus seulement la mendicité paternaliste faite aux œuvres sociales une fois l’an pour l’arbre de Noël.
La charge du restaurant ne représente plus qu’une part limitée de ce budget. Surtout, elle n’absorbe plus toute l’énergie des élus du CE qui peuvent aborder d’autres problèmes essentiels pour le devenir des entreprises.
Contrôle ouvrier
Le vote des lois Auroux, en même temps qu’il marque la fin de cette période du paternalisme patronal à l’égard des CE, ouvre l’amorce du contrôle ouvrier sur le processus de production, aussi relatif soit-il.
La mise en place du Comité de groupe constitue une étape supplémentaire dans la marche en avant des travailleurs vers davantage de responsabilités et de maîtrise de leur existence quotidienne dans l’entreprise. C’est en cela qu’elle nous concerne directement. Malgré les rechutes, les atermoiements qui peuvent encore survenir, soyons assurés que cette longue marche se poursuivra inexorablement. Tout comme un lundi matin de juillet 1988, la poussée irrésistible des travailleurs de la profession sut faire rouvrir toutes grandes les portes de l’imprimerie Didier, l’opiniâtreté développée dans le combat juridique vers la création du Comité de groupe représente un bel atout à l’actif de nos syndicats du Livre. Puissent ces deux exemples différents de la bataille syndicale, menée par la CGT, inspirer l’ensemble du mouvement ouvrier. En développant la vie démocratique dans l’entreprise, ils participent directement à l’élargissement de la démocratie dans le pays dont nous n’avons pas souvent l’occasion de vérifier concrètement, sur le terrain, des manifestations aussi éclatantes.
En première ligne
Le risque existe que la CGT ne soit pas forcément majoritaire au sein du Comité de groupe, cela n’empêche pas que nous avons mené le combat en première ligne car c’était notre devoir de le faire, face à l’avenir, même si nous avons dû assumer seuls la charge des procédures multiples. Nous avons pris cette décision en regard de l’importance des attributions économiques du Comité de groupe. Outre cet aspect, nous avons toujours manifesté le plus grand intérêt à discuter avec les autres catégories de salariés des entreprises du groupe, même lorsqu’elles ne partagent pas les mêmes options philosophiques que nous.
Face à une direction qui accapare tous les postes de responsabilité, tant au niveau du Syndicat de la presse parisienne qu’à celui de la Fédération nationale de la presse française, et contrôle de ce fait l’ensemble des syndicats patronaux, il était important que les salariés de toutes catégories s’organisent. Le législateur nous en a donné les moyens. A nous de mettre tout en oeuvre afin que cela se traduise dans une pratique effective par le regroupement des informations, qui nous permette de mieux cerner la configuration du groupe, les secteurs qu’il contrôle et ceux où il tente de s’implanter, ses perspectives, sa stratégie en matière de développement et de modernisation.
Ce n’est qu’un début, les premiers accords conclu après la loi du 28 octobre 1982 débordent le cadre de cette loi et indiquent bien que le Comité de groupe est appelé à connaître de nouveaux développements. Continuons le combat entrepris par les précurseurs de 1945, sur qui le vent de l’idéal soufflait en tempête.
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